Les Troubles Bipolaires vivent actuellement une seconde jeunesse. Et comme souvent, après une longue période durant laquelle ce trouble était très largement méconnu, tant des professionnels que du public, la modernisation de ce concept génère des excès inverses.
Méconnus hier, peut être aujourd’hui « sur diagnostiqués » ou trop « hâtivement diagnostiqués », ce groupe d’affections mérite des éclaircissements qui seront profitables à la bonne compréhension, mais aussi à la bonne alliance thérapeutique qui représente une des clés de la prise en charge.
Paradoxalement, le fait de « voir des Bipolaires partout », ce qui correspond assurément à la meilleure connaissance de ce groupe d’affections, peut parfois faire errer un diagnostic et donc parfois la prise en charge thérapeutique ; aussi cet article apportera les éclaircissements nécessaires, nous le souhaitons, que méritent ces troubles complexes.
Le traitement des Troubles Bipolaires est abordé dans un autre article.
Les troubles bipolaires représentent un enjeu de santé publique en raison de leur fréquence mais aussi en raison de la gravité de ces affections chroniques, dont malheureusement aujourd’hui encore et malgré les importants progrès thérapeutiques, nous ne pouvons pas prétendre à la guérison définitive. Seule la stabilisation symptomatique dans la durée sera le signe de la réussite thérapeutique.
A la sévérité du pronostic intrinsèque de ces affections, la fréquente comorbidité, en particulier cardiovasculaire, accentue hélas l’impact négatif morbide global dans la vie de ces patients et de leur entourage. La surmortalité étant manifeste chez ce groupe de patients, particulièrement lorsque ceux-ci ne sont pas ou mal traités.
Par ailleurs, dans de nombreux cas, le diagnostic lui-même est difficile. Les limites entre le « fonctionnement » émotionnel normal et pathologique est parfois extrêmement difficile à apprécier chez une personne. Les risques de retard au diagnostic et donc à la prise en charge sont fréquents.
On considère encore aujourd’hui qu’il faut plusieurs médecins, parfois même plusieurs psychiatres, et environ 10 ans, en moyenne, entre l’émergence des premières manifestations et le diagnostic.
Ensuite ce diagnostic peut être également douteux en raison du partage de certains symptômes avec d’autres affections psychiatriques, telle que certaines Schizophrénies. On pourrait même penser qu’il existerait des « formes de passage » entre ces deux grands groupes d’affections psychiatriques. Bien sûr, à affections différentes, traitements différents même si certains symptômes sont communs.
Enfin, la prise en charge est assez complexe, s’inscrivant dans la durée et nécessitant un suivi médical régulier, souvent spécialisé.
Rentrons dans le vif du sujet en définissant ces Troubles Bipolaires :
Il s’agit d’un groupe d’affections définis par l’alternance de périodes de dépressions et de périodes maniaques ou hypomaniaques (moins intenses que les accès maniaques).
Il s’agit de maladies marquées par des fluctuations, des variations de l’humeur entrecoupées de périodes dites « euthymiques », c’est-à-dire « normales pour le sujet » plus ou moins longues.
Il faut bien comprendre que ces fluctuations de l’humeur sont clairement pathologiques, au-delà des variations de l’humeur que l’on peut retrouver chez tout un chacun. En effet, qui ne s’est jamais plaint d’une journée maussade, d’un coup de blues, ou à contrario d’une période d’euphorie en rapport avec une bonne nouvelle, une réussite, une excitation vitale ?
Dans le cadre des Troubles Bipolaires, nous parlons d’excès en « positif » et en « négatif ».
On peut avoir une bonne idée de la bipolarité en se représentant une onde sinusoïdale, même si la périodicité des fluctuations de l’humeur n’est évidemment pas aussi constante !
Il existe plusieurs formes évolutives que nous détaillerons ultérieurement :
Enfin, une grande question se pose autour de la « cyclothymie » : Quand bien même, ce concept n’est pas considéré actuellement comme une véritable maladie, serait-elle un précurseur, une forme mineure ou le terreau sur lequel les troubles Bipolaires pourraient préférentiellement se développer, définissant un continuum entre le normal et le pathologique ?
Troubles bipolaires : variations de l’humeur
On considère une prévalence d’1% dans la population générale, ce qui fait de ces maladies, des affections relativement fréquentes. Il est à noter que cette fréquence était largement inférieure, concernant l’ancienne dénomination des troubles bipolaires, la fameuse « PMD » (Psychose Maniaco-Dépressive), essentiellement du fait de critères diagnostics très restrictifs auparavant.
La proportion entre les hommes et les femmes est égale, donnant un sex-ratio 1/1.
Ces affections touchent les individus de façon identique quelque soit le niveau socioéconomique et quelque soit la culture, sans variation de fréquence selon les différentes ethnies.
L’âge de début est classiquement l’adolescence ou chez l’adulte jeune entre 14 et 25 ans.
Le différentiel d’espérance de vie entre un patient traité versus non traité avoisinerait 10 ans en défaveur des patients bipolaires non traités, témoignant de l’importance de la surmortalité de ce groupe de pathologies, justifiant d’autant plus, s’il en était nécessaire, la prise en charge la plus précoce et la plus efficace possible.
Avant de passer à la description clinique de ces Troubles Bipolaires, je terminerai cette longue introduction par quelques points historiques.
Si l’appellation « Troubles Bipolaires » est récente, les premières descriptions de ce type particulier de trouble de l’humeur sont retrouvées dès Hippocrate dans sa description de la « Mélancolie » (la bile noire, d’où l’expression « se faire de la bile »). Le cerveau, organe fragile, baignant dans les humeurs troublées par la bile noire, amère.
De façon plus récente, les véritables descriptions médicales datent du 17ième siècle, avec la description de la succession d’épisodes mélancoliques et dépressifs chez une même personne par Willis.
Falret (1854), parlant quant à lui de la « folie circulaire », transformée en « folie Maniaco-Dépressive » par Kraeplin (1899).
Ce n’est que vers les années 1990 que la dénomination actuelle s’est imposée après quasiment un siècle de « Psychose Maniaco-Dépressive » est sa définition trop restrictive pour véritablement décrire le polymorphisme de ce groupe d’affections reconnu aujourd’hui.
Il s’agit donc d’une succession d’épisodes dépressifs majeurs et d’accès maniaques ou hypomaniaques.
Ils sont en tous points similaires, dans leur symptomatologie, à la dépression telle qu’elle est décrite dans un précédent article Doctinet.
Le trépied symptomatique humeur triste, ralentissement psychique et moteur, et les altérations des conduites instinctuelles (libido, sommeil, appétit).
On peut éventuellement retrouver quelques caractéristiques différentes.
On dit souvent que la dépression présente des caractères « d’endogénicité », c’est-à-dire que ne retrouve pas habituellement de facteur déclenchant manifeste de ces épisodes.
Il est assez classique d’être alerté par une « hypersomnie », c’est-à-dire une quantité très importante de sommeil, inadaptée, incongrue par rapport à la dépense d’énergie physique.
La symptomatologie négative est souvent maximale le matin, dès le réveil avec une amélioration vespérale.
On retrouve également de fréquents antécédents familiaux de dépression, voire même de troubles bipolaires.
Enfin, la sensibilité « paradoxale » ou particulière, de ces états dépressifs aux traitements Antidépresseurs permet de décrire un type particulier de Trouble Bipolaire, Le type 3, qui correspond aux troubles Bipolaires « induits » par l’utilisation d’une substance en particulier médicamenteuse, devant la survenue d’un « virage » maniaque de l’humeur.
Attardons nous plus à la description de l’accès Maniaque.
On peut évoquer la symptomatologie maniaque en miroir de la symptomatologie dépressive.
On parle de manifestations « hyperthymiques ».
On retrouve :
Elle se manifeste par une euphorie expansive, sans cause apparente. Cette euphorie, sentiment de bien-être débordant, en fait ne se retrouve que dans un tiers des cas.
On évoque l’exaltation thymique comme un sentiment de toute puissance, un bonheur exalté, spontané, parfois remplacé par une certaine irritabilité.
Cette excitation comporte deux volets :
Une excitation psychique se manifestant par une pensée accélérée, on parle de tachypsychie.
Cette accélération de la pensée se manifeste par un débit de paroles rapide, la Logorrhée, qualifiée de « diarrhée verbale ». Cette Logorrhée outre le débit très rapide, se manifeste par un discours diffluent, qui s’éparpille, sorte de « feu d’artifice » verbal, dans lequel les pensées et les propos se chevauchent, s’intriquent sans cohérence, donnant des sauts de la parole du « coq à l’âne ».
La tonalité du discours est souvent exaltée, euphorique, avec de nombreux jeux de mots, familiarités incongrues, désinhibition inappropriée, des blagues lourdes.
Le patient se montre facilement distractible, s’interrompant spontanément pour s’intégrer dans la conversation d’autrui, sans retenue ni discernement.
Cette excitation psychique s’accompagne parfois de passages à l’acte également marqués par cette élation désordonnée, comme des achats multiples, inconsidérés et souvent sans préoccupation des capacités financières réelles.
La personne montre une agitation stérile, désordonnée et incongrue. La personne bouge sans cesse, monte sur les tables…
Ce tableau réalise ce qu’on appelle « l’accès maniaque franc ».
En dehors de ce tableau massif, il existe des variations, en terme d’intensité symptomatique, qui déterminent l’hypomanie, gradient moindre mais également source d’erreurs et de doutes diagnostiques. Cet état hypomaniaque demeure contrôlable par la personne.
On peut également décrire une forme particulière, délirante, dont l’activité délirante est dite congruente à l’humeur réalisant la Mégalomanie avec des idées délirantes de grandeur, de toute puissance, délire de filiation, délire mystique.
Enfin, on décrit des états particuliers, dans lesquels coexistent des symptômes de la lignée dysphorique (dépressive) et des symptômes de la lignée hyperthymique. On parle alors des états Mixtes.
Le sommeil est constamment perturbé dans les accès maniaques et hypomaniaques. Essentiellement sous la forme d’une réduction de la quantité de sommeil, mais sans fatigue perçue. Les patients se décrivant en très grande forme paradoxalement, malgré quelques heures de sommeil, voire même sans sommeil.
A ce sommeil dégradé, s’ajoute souvent une perte d’appétit et une hypersexualité, marquée toujours par l’excès et la désinhibition inappropriée et inhabituelle.
Les troubles du sommeil sont souvent considérés comme prodromiques, inauguraux habituellement de la décompensation Bipolaire. On parle du sommeil comme le « thermomètre de l’humeur ».
On définit plusieurs formes évolutives :
Les autres formes évolutives représentées par les états mixtes et les maladies du spectre Bipolaire feront l’objet chacune d’un article particulier.