Depuis sa globalisation fulgurante, la pandémie de Covid-19 est devenue une urgence sanitaire mondiale par ses conséquences à la fois physiques et psychologiques pour nombre de personnes exposées de près ou de loin au SARS-CoV-2.
Deux années jour pour jour après l’émergence de l’épidémie, qui d’entre nous n’a pas ressenti la peur de contracter la maladie, n’a pas été troublé par la confusion et la désinformation qu’elle provoque ou n’a pas été affecté par un drame lié au Covid-19 ? Cette pandémie aux nombreuses conséquences entraîne des bouleversements susceptibles d’avoir un impact sur la santé mentale, le bien-être et la sécurité des personnes, ceci à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective.
Les différentes mesures de contrôle de la propagation de l’infection mises en place telles que la quarantaine, l’isolement, le confinement, la mise en place du pass sanitaire ou vaccinal ou la campagne massive de vaccination par de nouveaux vaccins ont eu certes des effets favorable sur l’inflexion des courbes épidémiques, mais cela, au dépend de répercussions néfastes inestimables sur la santé mentale des individus et des populations.
Nous allons dans cet article décrire le trouble de stress post-traumatique (TSPT), le placer dans le contexte de la pandémie de Covid-19 et décrire en particulier ses conséquences sur les professionnels de santé.
Commençons par quelques définitions générales toujours nécessaires à rappeler :
Selon l’OMS, la santé mentale est un “état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté. Dans ce sens positif, la santé mentale est le fondement du bien-être d’un individu et du bon fonctionnement d’une communauté.”.
Le bien-être renvoie aux émotions ressenties, au fonctionnement psychologique et au fonctionnement social.
Dans le champ des sciences sociales, la résilience est un processus d’adaptation positive, donc la capacité d’un individu (ou d’un groupe de personnes) à revenir sur une trajectoire de développement normal après une situation d’adversité.
La résilience communautaire est la capacité des membres d’une communauté de s’adapter à un environnement caractérisé par le changement, l’incertitude, l’imprévisibilité et la surprise en mobilisant les ressources communautaires. Les membres de communautés résilientes développent intentionnellement des capacités individuelles et collectives pour répondre au changement, soutenir la communauté et développer de nouvelles trajectoires pour assurer l’avenir et la prospérité de leur communauté. En situation d’adversité, les communautés capables de limiter les facteurs de risque et d’augmenter les facteurs de résilience développeraient une plus grande capacité à survivre aux perturbations.
Le trouble du stress post-traumatique (ou syndrome de stress post-traumatique ou PTSD en anglais pour Post-traumatic stress disorder) désigne l’ensemble des troubles psychiatriques qui surviennent lorsqu’une personne a été confrontée à un événement tragique, soudain et traumatisant. Ils se traduisent par une souffrance morale et des complications physiques qui altèrent profondément la vie personnelle, sociale et professionnelle. La personne concernée par ces troubles peut avoir été la victime ou le témoin de l’évènement. L’état de stress aigu immédiat ressenti après un événement grave est normal, mais lorsque ceux-ci persistent, on parle de troubles de stress post-traumatique (TSPT). Le diagnostic doit être posé par un psychiatre.
Plusieurs évènements traumatisants peuvent être à l’origine ce ces troubles : un attentat, une guère, un accident, la lutte contre une maladie grave, une agression physique ou sexuelle, le suicide d’un proche, une catastrophe naturelle et plus récemment la crise sanitaire de la Covid-19, l’hospitalisation massive en réanimation.
Le diagnostic est clinique et basé sur les critères du “Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition” (DSM-5).
Ainsi, le diagnostic est posé lorsque :
Le psychiatre vérifie également que les symptômes ne sont pas dus à l’utilisation d’un médicament ou d’une drogue, ou à un autre trouble psychiatrique.
Chez l’enfant les symptômes sont exprimés différemment :
Plusieurs éléments plus spécifiquement liés à la pandémie de Covid-19 sont décrits comme pouvant favoriser la survenue de trouble de stress post-traumatique :
Nombreuses sont les publications qui estiment que la crise sanitaire actuelle de la Covid-19 représente un risque accru de stress post-traumatique, en particulier pour les médecins, réanimateurs, infirmiers, aides-soignants et familles endeuillées. Ces professionnels sont souvent doublement touchées par les événements, à la fois à titre personnel et à titre professionnel. Ce constat n’est pas nouveau puisque lors des épidémies précédentes de “syndrome respiratoire aigu sévère” (SRAS) de 2002–2003 et de “syndrome respiratoire du Moyen-Orient” (MERS) de 2012–2013, causées elles aussi par des coronavirus, les professionnels de santé ont développé des troubles de la santé mentale comme de l’anxiété, dépression, burn-out, troubles du sommeil, mais aussi des symptômes de TSPT. Ces troubles ont été décrits survenant pendant l’épidémie, mais parfois de façon retardée (plusieurs mois ou années plus tard).
Les circonstances les plus répandues et le mieux documentées ont été les contacts directs avec des patients atteints de Covid-19, la pénurie de matériel et de personnel médical, la perte de collègues atteints de la Covid-19, la perte d’un membre de sa famille, le suicide d’un être proche, des attaques et menaces sur les réseaux sociaux concernant son opinion vis à vis du vaccin ou du pass sanitaire. Dans ce contexte, le risque de développer un TSPT peut être accru par le fait de l’absence de soutien psychologique immédiat pour ces professionnels de santé lié à leur isolement social ou à leur mise en quarantaine.
En France, la prévalence dans la population générale serait de 6 à 9% et toucherait deux fois plus les femmes que les hommes.
La prévalence des symptômes auprès des professionnels de santé serait de 3 % à 16 %. Parmi ces derniers, elle serait plus élevées chez les femmes, infirmières ou soignants situés en première ligne face à l’épidémie de la COVID-19 (services des urgences et de réanimation). Une pathologie psychiatrique préexistante ainsi que des niveaux élevés d’anxiété ou de dépression seraient également associés à une prévalence plus élevée de symptômes de TSPT.
Dans les suites immédiates de l’évènement déclencheur, les signes cliniques énumérés sont considérés comme faisant partie d’un état de stress aigu et normal. On parle de TSPT lorsqu’ils persistent au-delà de 4 semaines. La plupart des personnes vont guérir de ces troubles dans les 3 mois suivant l’évènement, mais environ 20% vont développer une forme chronique du syndrome.
Il faut noter que si les symptômes apparaissent généralement immédiatement, au bout de quelques jours, les TSPT s’installent parfois plus progressivement, se constituant alors tardivement, parfois après plusieurs semaines, mois ou années.
Lorsque le stress post-traumatique n’est pas pris en considération il évolue vers un état chronique et s’associe alors à d’autres manifestations cliniques telles qu’un état de fatigue chronique, la perte de l’énergie et de la motivation pour mener les activités habituelles de sa vie quotidienne.
Peuvent s’y associer également des troubles du comportement alimentaire tels qu’une anorexie ou une boulimie, une perturbation de la vie affective et de la libido.
Les TSPT sont souvent associés à d’autres troubles de santé mentale comme la dépression ou l’anxiété qui se traduisent par des répercussions handicapantes sur la vie sociale, familiale et professionnelle. La souffrance est telle qu’elle accroît le risque de dépendance à des substances psychoactives ou le risque suicidaire qui est multiplié par 15.
Par ailleurs, le TSPT est associé à un état de stress chronique qui va retentir sur la santé somatique de l’individu : les personnes qui en souffrent ont un sur risque de migraine, d’hypertension artérielle, d’ulcère gastrique ou de maladies dermatologiques…
En l’absence d’une prise en charge adaptée on observe la perte progressive de l’élan vital. La personne perd progressivement le contact avec son entourage et avec la réalité.
A l’inverse de souvenirs non traumatisants, le souvenir traumatique ne suit pas la procédure habituelle d’analyse et de mise à distance. En effet, dans les TPST, l’intensité de l’évènement serait telle qu’elle provoquerait une hypermnésie sur le plan émotionnel, tout en gênant la constitution de la mémoire épisodique qui permet de verbaliser et conscientiser ce qui survient. Cette modification peut parfois conduire à une amnésie partielle sur la façon précise dont l’épisode s’est déroulé. A posteriori, cette altération de la constitution de la mémoire rend l’individu incapable de mettre l’évènement à distance par la parole ou la conscience. Seules les émotions ressurgissent, avec une puissance similaire à l’évènement initial.
Le TSPT s’accompagne par ailleurs de changements profonds du système nerveux autonome et en particulier de l’augmentation de l’activité du système nerveux sympathique (sécrétion d’adrénaline intervenant dans les réactions de combativité et de sidération) et une diminution de l’activité du système nerveux parasympathique (actions régulatrices du repos et de la digestion). S’y associent également une activité exacerbée dans le réseau cérébral régulant la détection de menaces et de réponses émotionnelles négatives, une baisse de l’activité dans le réseau cérébral impliqué dans le contrôle de l’exécution des actions, la résolution de problèmes, la régulation émotionnelle et les mécanismes de récompenses.
Ces observations sont corroborées par des expérimentations conduites chez l’animal, ainsi que par l’imagerie cérébrale : celle-ci met en évidence une hyperactivité de l’amygdale, lieu principal de la mémoire émotionnelle, et une hypoactivité de l’hippocampe, impliqué dans la mémoire déclarative. La plasticité de cette structure apparaît en outre réduite, tout comme son volume. Une diminution du volume hippocampique représente par ailleurs un facteur de vulnérabilité vis-à-vis des TSPT.
Sur le plan biologique, les mécanismes impliqués sont régis par une perturbation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, avec une libération exacerbée de différents médiateurs du stress, dont le cortisol, et une perturbation de différents neuromédiateurs (dopaminergique, glutamatergique…). La substance grise dite “périaqueducale”, un ensemble de neurones impliqué dans les réactions de défense et d’évitement, est particulièrement active.
On peut subdiviser en trois grands groupes les facteurs favorisants la survenue de TSPT :
Chez les professionnels de santé, les principaux facteurs favorisants retrouvés sont le degré d’exposition au virus, l’exposition répétée à la mort, la profession d’infirmier/ière, le sexe féminin, et une moindre expérience professionnelle (moins d’années ancienneté). L’ampleur et la longue durée de cette crise, le manque de connaissances sur ce nouveau virus et l’incertitude sur le futur constituent un stress particulier sur les professionnels de santé concernés et déjà submergés de travail. L’accumulation de faits traumatisants comme la crise sanitaire actuelle surajoutée à un état latent de stress post-traumatique peut en aggraver les conséquences.
Chez des professionnels de santé travaillant dans les services des urgences au cours des pandémies des études ont montré que les personnes présentant une capacité de résilience et sachant mieux faire face à des situations difficiles (“coping”) avaient un risque moindre de développer un TSPT.
La résilience est un processus par lequel un individu est capable de se préserver face à des évènements ou des situations de vie pénibles par un bon contrôle du stress et des émotions négatives. La résilience augmente la tolérance des émotions négatives et des échecs et joue un rôle important dans la prévention des conséquences négatives d’évènements de vie personnels ou professionnels particulièrement difficiles.
Pour traiter le trouble de stress post-traumatique il n’y a pas de recette miracle. Certaines personnes parviennent, à force de méditation, de réflexion personnelle et de lectures appropriées, à s’en sortir seules et ne développent pas de trouble de stress post-traumatique. Mais si les symptômes persistent pendant plus d’un mois, la personne concernée doit être prise en charge car en l’absence de traitement il peut y avoir des conséquences graves, comme une dépression ou la consommation et la dépendance à des substances.
La prise en charge repose sur la psychothérapie sous ses différentes formes : thérapie cognitivo-comportementale (TTC), EMDR (eye movement desensitization and reprocessing), hypnose, art-thérapie, équithérapie, méditation de pleine conscience, théâtre, peinture, ou le sport… Toutes les techniques et disciplines favorisant le bien-être peuvent ainsi être mises en œuvre et conjuguées.
Les thérapies comportent pour certaines une exposition directe prolongée et pour d’autres des procèdes de type thérapie du processus cognitif ou thérapie interpersonnelle.
L’objectif des psychothérapies est de limiter l’évitement mental et comportemental qui empêche le souvenir traumatique d’être intégré et traité comme un souvenir habituel.
Un secours immédiat peut être apporté par des psychiatres, des psychologues cliniciens ou d’autres professionnels formés à l’écoute. Ce sont eux qui interviennent dans les cellules de soutien psychologique d’urgence qui sont mises en place lors d’évènements traumatisants survenant dans l’espace public.
A plus long terme, la recherche d’un soutien social, familial et amical, l’élaboration de perspectives positives et la réduction de tout phénomène de stress peuvent aider à surmonter l’épreuve. D’autres adaptations peuvent améliorer la recherche de situations positives comme la recherche d’une spiritualité, religion, activités de loisirs, l’évocation de souvenirs agréables, l’humour, la relaxation, des pensées optimistes. Des études en neurosciences montrent que même lorsque vous êtes né de tempérament pessimiste vous pouvez devenir optimiste.
La survenue d’un drame peut faire découvrir sa vulnérabilité mais aussi rendre plus fort que lors de sa situation initiale en créant des opportunités pour identifier des forces et qualités personnelles. Le traumatisme peut secouer votre vie mais aussi la réorienter vers ce qui compte réellement pour vous.
Pour un patient sur cinq environ, il existe un risque significatif de voir le malade rechuter à l’issue d’une prise en charge adaptée.
La résilience se définit comme la “capacité à maintenir un niveau de fonctionnement physique et psychologique relativement stable face aux pertes ou aux événements menaçants qui surviennent au cours de la vie.’. Elle correspond à un retour au niveau de fonctionnement psychologique pré-traumatique.
Le rôle du thérapeute est d’aider le développement des capacités de résilience : la capacité de rebondir d’une situation négative et d’affronter une épreuve dramatique.
Un stress chronique peut provoquer l’augmentation du volume de certaines zones dans le cerveau au dépend d’autres zones du cerveau provoquant la diminution de notre capacité à réguler nos émotions, entre autres effets. Des techniques telles que la méditation en pleine conscience ou des exercices de respiration activent les zones du cerveau responsables de la concentration, des émotions et de la conscience de soi. Ces changements peuvent interrompre la progression de la peur vers l’anxiété et faciliter la guérison.
La croissance post-traumatique (CPT) se définit comme l’ensemble des changements psychologiques positifs résultant de la confrontation, de la lutte avec tout événement de vie défiant hautement les ressources de l’individu. Cette définition propose qu’une personne confrontée à une situation grave mettant en jeu sa survie parviendrait non seulement à dépasser la crise induite par le traumatisme, mais également à en provoquer des changements intérieurs majeurs et positifs. Cette croissance personnelle, par un processus adaptatif continu, conduit la personne à redéfinir son système de valeurs. Au terme du processus, l’événement vécu est considéré comme un apport indéniable, un tournant majeur dans la vie de la personne.
La CPT comporte trois phases :
Dans les cas sévères, un traitement médicamenteux (anxiolytiques, antidépresseurs, traitements contre les cauchemars) est parfois envisagé pour soulager les symptômes paralysants du quotidien, en complément de la psychothérapie . Pour tenir sur le long terme, il faut pouvoir parler de ce que l’on a traversé. Le rôle de l’entourage est ainsi important.
Favoriser une information juste et positive : diffuser quotidiennement les derniers développements et les interventions à venir ; informer la population des conséquences psychosociales d’une pandémie et des services disponibles en rappelant qu’il est normal de ressentir des émotions négatives ; faire connaître des exemples locaux positifs de gens résilients ; réduire la mésinformation et la désinformation entourant la Covid-19.
Soutenir les connexions sociales en collaboration avec les ressources de la communauté : collaborer avec les ressources locales pour établir un réseau d’entraide efficace ; soutenir les projets d’entraide entre les personnes qui respectent les consignes de distanciation physique ; donner accès localement à des espaces verts.
Répondre aux besoins psychosociaux des membres de la communauté : sensibiliser les personnes impliquées dans les soins et l’aide en contexte de Covid-19 aux principes essentiels des soins psychosociaux de type premiers secours psychologiques ; soutenir les personnes endeuillées dans leur processus de deuil.
Les conséquences psychologiques liées à la pandémie actuelle de Covid-19 doivent être dépistées et prises en charge dans la population générale et chez les patients souffrant de cette pathologie, mais également chez les professionnels de santé.
Le dépistage et le traitement du TSPT sont essentiels chez les professionnels de santé au cours de la pandémie, mais aussi à moyen et long terme. Leur accès aux structures d’aide psychologique et de santé mentale est essentiel. Les interventions d’aide psychologique visent à augmenter la résilience, à gérer les stratégies de “coping” et à diminuer le risque des conséquences délétères de la pandémie sur la santé mentale. Les études futures devront clarifier les effets à long terme de la pandémie de Covid-19 sur la santé mentale des professionnels de santé, avec une attention particulière sur le TSPT, qui peut survenir de façon retardée, longtemps après la fin de la pandémie.