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Techniques ostéopathiques fonctionnelles : la méthode de Jones

Dr Raduszynski Ivan6 décembre 2014

Définitions et bases physiologiques

« Docteur, j’ai peur que vous me fassiez craquer les vertèbres ! » Bon nombre de patients pensent que l’ostéopathie se résume aux manipulations dites « structurelles », c’est-à-dire celles qui comportent une impulsion rapide suivie d’un bruit de craquement, source d’appréhension.

Il n’en est rien et l’ostéopathie englobe de très nombreuses techniques alternatives qu’un bon médecin-ostéopathe devra maîtriser pour pouvoir les proposer à ses patients. Certaines d’entre elles, dites « fonctionnelles », sont très douces et ne s’accompagnent pas de ce fameux bruit. Mises au point par différents praticiens américains (Jones, Baker, Sutherland…), leur plus grande particularité est qu’elles n’utilisent ni mise en tension des muscles, ni manipulation des cartilages pour effectuer le traitement. Tout au contraire, le praticien cherche à placer le sujet dans une position caractérisée par un confort maximal au niveau de la région douloureuse.

La spécificité de la méthode de Jones est de soigner les douleurs articulaires en plaçant passivement la région à traiter puis en la maintenant simplement pendant 90 secondes dans une position telle que les tensions musculaires soient minimales (« counterstrain »). La méthode de Jones est également dénommée « Strain and counterstrain » en anglais. Le patient est positionné en position de confort maximal : il ressent à peine l’appui des doigts du praticien. Pour chaque vertèbre douloureuse, il existe une technique de correction spécifique, de même pour l’épaule, la hanche, le genou, etc.

Inconnu lorsque cette technique a été inventée empiriquement dans les années 1940, le mode d’action de cette méthode a été explicité depuis en laboratoire. Il passe notamment par une régulation neurologique locale qui est induite par un positionnement où les muscles responsables du blocage sont raccourcis au cours d’une manipulation douce. Il existe en effet dans les muscles, des récepteurs sensitifs microscopiques, les propriocepteurs, dont l’activité s’emballe quand l’articulation est bloquée. L’action du médecin-ostéopathe a pour objectif un retour à la normale du fonctionnement de ces propriocepteurs (fuseaux neuro-musculaires).

Bases cliniques et expérimentales

Jones a déterminé empiriquement que la dysfonction somatique (le « blocage ») résultait de l’étirement brutal (« strain ») de muscles maintenus préalablement de manière passive et prolongée en position de relâchement et de raccourcissement, puis ensuite étirés brutalement par un mouvement trop rapide. C’est ainsi qu’on explique les blocages lombaires qui suivent une séance de jardinage au cours de laquelle on est resté trop longtemps penché en avant, ou ceux que l’on peut constater le matin au réveil au saut du lit, alors que le corps est pourtant reposé. Les fameux propriocepteurs sont surpris et n’ont pas le temps de s’adapter aux brusques changements de position. Il en est de même après une station assise prolongée dans un canapé trop profond que l’on quitte trop vite. En réalité, il a été démontré en laboratoire que ces blocages sont liés à l’exagération de réflexes neuro-musculaires au niveau de la moelle épinière, notamment le réflexe myotatique. La technique de Jones vise à corriger cette activité inappropriée afin de rétablir une tonicité musculaire et une mobilité articulaire locale normales au niveau de la zone douloureuse.

Bases du diagnostic dans la méthode de Jones

En ostéopathie classique, le diagnostic du blocage articulaire résulte de tests de mobilité. Ici, la méthode est différente car elle découle de la recherche manuelle de « points de tension » normalement absents mais qui apparaissent quand les muscles sont spasmés. Ces points douloureux sont dénommés « tender points ». Cette recherche méticuleuse sera faite par le médecin-ostéopathe au cours de la séance, après interrogatoire, examen clinique complet et lecture des examens complémentaires du patient. Même s’il s’agit d’une méthode douce, son application doit découler d’un diagnostic médical précis qui permettra de porter son indication. Comme pour toute technique manuelle, il existe également des contre-indications qu’il faudra respecter : les positions de correction de Jones ne sont pas toutes compatibles avec certaines pathologies, notamment au niveau de la colonne cervicale.

Mise en application de la méthode de Jones

Pour parvenir à traiter une dysfonction mécanique, la méthode de Jones adopte trois principes de base :

  • Identifier le ou les « tender points » pathologiques. Ce principe implique la connaissance de la topographie de tous ces points, un peu comme l’acupuncteur qui doit connaître les méridiens et les points d’énergie.
  • Mettre le patient dans une position dite de correction. Il existe une position-type pour chaque point. Le médecin-ostéopathe devra les connaître et les maîtriser. Cette position, ajustée selon la morphologie du patient, sera maintenue passivement pendant 90 secondes, temps nécessaire à la réinitialisation des fuseaux neuro-musculaires.
  • Retour lent à la position neutre : afin de ne pas récréer le spasme initial, le praticien doit revenir très lentement à la position normale, sans l’aide du patient.

On comprend donc que la collaboration du sujet est essentielle au bon déroulement de cette technique. Au cours d’une séance, on peut être amené à corriger plusieurs points de tension pathologiques. On peut également associer d’autres techniques ostéopathiques au cours d’une même séance, si nécessaire.

Indications thérapeutiques de la technique de Jones

La technique de Jones peut être utilisée :

  • dans les contractures musculaires (torticolis aigu) ;
  • dans les dysfonctions mécaniques articulaires : lombalgies (« tour de rein »), cervicalgies, dorsalgies avec tests de mobilité perturbés mettant en évidence une restriction de mouvement (arthrose cervicale, dorsale ou lombaire) ;
  • lorsqu’il existe une contre-indication aux manipulations structurelles : radiculalgie (sciatique, cruralgie), arthrose enraidissante, ostéoporose évoluée, à condition que la mise en position soit indolore. La règle de la non-douleur est immuable et devra être appliquée par le médecin dans tous les cas.

Contre-indications

Les pathologies vasculaires cervicales (insuffisance vertébro-basilaire) contre-indiquent l’utilisation de certaines techniques cervicales de Jones : celles qui incluent une composante d’extension du cou, car ces manœuvres sont susceptibles de provoquer des manifestations pathologiques (vertiges, malaises…). Là aussi, un diagnostic médical préalable est indispensable.

Applications pratiques

Quelques exemples de points de tension et de positions de correction :

photo 1 cervical
photo 2 cervical

Pour le rachis cervical : dysfonction de la cinquième vertèbre cervicale

photo 1 lombaire
photo 2 lombaire

Pour le rachis lombaire : dysfonction de la première vertèbre lombaire

 

photo 1 bassin
photo 2 bassin

Pour le bassin : dysfonction du muscle psoas-iliaque

Conclusion

Une séance d’ostéopathie n’implique pas forcément de subir des craquements désagréables souvent redoutés du patient et comportant parfois certains risques chez des malades fragiles. De plus en plus de patients sont informés de la richesse et de la diversité des techniques ostéopathiques. Un bon praticien devra savoir répondre à des demandes bien légitimes de traitement par des techniques d’ostéopathie fonctionnelle. Même si ce n’est pas une panacée, la méthode de Jones nous apporte souvent une réponse intéressante.

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