En France, un décès sur 50 est un suicide, et on estime qu’une personne donnée sera confrontée, sur une période de quarante ans, au décès par suicide d’une à trois personnes de son entourage immédiat.
La France a un des taux d’espérance de vie parmi les plus élevés du monde, mais également un taux de suicide parmi les plus hauts en Europe.
Pour l’ensemble des 28 pays de l’Union européenne, le taux standardisé de décès par suicide s’élève à 12 pour 100 000 habitants en 2010.
La France métropolitaine, avec un taux standardisé de décès par suicide de 18, se situe parmi les pays européens ayant un taux des plus élevés, après la Finlande, la Belgique et la plupart des pays de l’Est.
Ces données sont issues du rapport édité en novembre 2014 par le ministère de la Santé dans le cadre de l’Observatoire national du suicide : suicide, état des lieux des connaissances et perspective de recherche.
Le suicide est la 1ere cause de mortalité chez les 25-34 ans et la seconde cause chez les 15-24 ans selon La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) : suicides et tentatives de suicide en France, une tentative de cadrage statique N109 avril 2001.
Si le suicide est objectivé dans la population jeune, on constate que les personnes âgées de +65 ans sont également touchées par ce risque où il reste élevé : 28 % des suicides ont concerné des personnes âgées de plus de 65 ans. La prise en charge de ces patients est difficile car le sujet reste encore tabou avec un déni sociétal voire médical.
La complexité de cette problématique réside dans le fait que les praticiens sont souvent désarmés face à un patient en souffrance.
Le passage à l’acte est prémédité plus ou moins longtemps à l’avance par le patient, sans que nous puissions déterminer quand ? où ? et comment ? ce geste aura lieu.
Cet état de fait met mal à l’aise la communauté médicale. La tentative de suicide ou le suicide sont souvent vécus comme un échec.
Comme toujours en médecine, la prévention reste l’arme thérapeutique la plus efficace.
Par l’écoute et des outils pratiques, nous pourrons dépister les sujets à risque et ainsi faire face, voire anticiper le risque suicidaire.
Latin : sui de soi-même, et le radical cidium meurtre, qui se trouve dans homi-cidium de caedere tuer.
Les philosophes de Socrate à Deleuze ont débattu sur cette problématique.
Les courants de pensée ont divergé, convergé et surtout les philosophes ont âprement débattu. Certains l’ont décrit comme une abomination, ils ont condamné l’idée même du suicide avant l’acte tandis que d’autres y voyaient un acte sublime, romanesque, libérateur voir courageux.
Je retiendrais la définition d’un philosophe allemand du XIXe siècle : Arthur Schopenhauer « La négation de la volonté de vivre n’implique nullement la destruction d’une substance mais purement et simplement l’acte de la non-volonté : ce qui jusqu’ici a voulu, ne veut plus.»
Tout comme les philosophes, il n’est pas établi encore aujourd’hui une définition propre scientifique du risque de suicide.
Le suicide ou les suicides ne sont pas mesurables au sens littéral du terme.
La crise suicidaire est une crise psychique déclenchée par un facteur précipitant et marquée par des idées suicidaires de plus en plus envahissantes face un sentiment d’impasse, elle résulte de l’intrication de facteurs de risques individuels, familiaux et psychosociaux (VAN HEERINGEN, C.MARUSIC, A., Understanding the suicidal brain the British Journal of Psychiatry, 2003).
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que la question de la définition des suicides et TS (tentative de suicide) a donné lieu à de nombreuses discussions lors de l’élaboration de son rapport (2014, op. cit.).
L’OMS ne prétend pas fournir de terminologie « officielle ». Elle indique que dans le rapport, « le terme suicide se réfère à l’acte de se donner délibérément la mort » et « le terme tentative de suicide est employé pour se référer à tout comportement suicidaire non mortel et à un acte d’auto-intoxication, d’automutilation ou d’autoagression avec intention de mourir ou pas », et souligne que « l’intention de suicide peut être difficile à évaluer du fait de l’ambivalence et de la dissimulation qui lui sont associées ».
L’évaluation du risque suicidaire est complexe pour différentes raisons :
Il ne s’agit donc pas seulement de détecter le risque. Il faudra savoir en parler, et aussi et surtout faire parler le patient pour éviter le passage à l’acte et remettre de la pensée, du sens.
Les solutions proposées convergent toutes dans l’évitement de l’acte et surtout dans le soin de l’individu souffrant sans oublier de le protéger.
On peut s’appuyer soit :
Dans les deux cas, il s’agit de faire naître du lien, il faut faire prendre conscience à l’individu de son mal-être. Le but est de l’encourager à un suivi.
L’individu verbalise ses affects et « mène » cet entretien. Le but recherché est de donner du corps, du sens au contenu de la souffrance ressentie. Nous devrons faire preuve de bienveillance et neutralité.
* L‘acting out se définit comme un acte effectué de façon inconsciente par l’analysant, que ce soit lors d’une séance ou hors des séances et qui, généralement, est à décrypter par le praticien car cet acte isolé, qui n’est pas en corrélation avec les actions habituelles du sujet, remplace la verbalisation et le souvenir. L’acting out signifie donc agir hors de ses habitudes à la place de se souvenir et parler.
C’est toujours un acte impulsif, en opposition aux motivations habituelles du sujet, qui peut aller jusqu’au meurtre ou jusqu’à l’agression sexuelle, par exemple.
Cependant, l’acting out est à différencier du passage à l’acte en cela qu’il ne démontre pas de signification, qu’il est isolé et non interprétable par l’analyste ; il exprime néanmoins le retour de l’élément refoulé.
Le rôle de l’analyste quand il y a acting out, est d’aider le patient dans l’incapacité où il se trouve de verbaliser et de réintégrer le discours. L’analyste pourra se servir de sa position transférentielle pour y parvenir. Définition tirée de la fédération freudienne de psychanalyse (http://www.psychanalyse.fr/).
Comme dans l’approche déployée ci-dessus, on reprendra les thématiques classiques, qui fondent la base de toute démarche scientifique. On décline les points suivants :
Instructions :
Ces questions s’intéressent à ce que vous avez ressenti ces 30 derniers jours. Cocher la case qui correspond le mieux à votre état.
1 Au cours du dernier mois, à quelle fréquence vous êtes vous senti(e) nerveux/nerveuse ?
2 Au cours du dernier mois, à quelle fréquence vous êtes vous senti(e) désespéré(e) ?
3 Au cours du dernier mois, à quelle fréquence vous êtes vous senti(e) agité(e) ou ne tenant pas en place ?
4 Au cours du dernier mois, à quelle fréquence vous êtes vous senti(e) si déprimé que plus rien ne pouvait vous faire sourire ?
5 Au cours du dernier mois, à quelle fréquence avez vous senti(e) que tout était un effort ?
6 Au cours du dernier mois, à quelle fréquence vous êtes vous senti(e) bon(ne) à rien ?
0 |
PAS D’IDEES DE MORT |
Ne pense pas plus à la mort qu’habituellement |
1 |
Pense plus à la mort qu’habituellement | |
2 |
IDEES DE MORT |
Pense souvent à la mort |
3 |
A quelques idées de suicide | |
4 |
IDEES DE SUICIDE |
A assez souvent des idées de suicide |
5 |
Pense très souvent au suicide et parfois ne voudrait plus exister | |
6 |
DESIR PASSIF DE MOURIR |
Désire mourir ou plutôt être mort |
7 |
a: lien fort b: lien faible |
Désir de mort très fort, mais retenu par quelque chose (être cher…) |
8 |
VOLONTE ACTIVE DE MOURIR |
Veut mettre fin à ses jours |
9 |
a: projet défini à long terme b: projet défini à court terme |
Sait comment il veut mettre fin à ses jours |
10 |
DEBUT DE PASSAGE A L’ACTE |
A déjà préparé son suicide ou a commencé de passer à l’acte |
Cette méthodologie présente des avantages :
Les inconvénients se précisent ainsi :
Six éléments permettent d’apprécier la dangerosité et l’urgence de la crise : retenir SIIMPLE ANAES mai 2002
La dangerosité, c’est-à-dire la létalité et l’accessibilité aux moyens de suicide : Évaluation de la dangerosité selon Granier E. Idées noires et tentatives de suicide : réagir et faire face. Odile Jacob, avril 2006
Accès direct et facile à des moyens fortement létaux |
ÉLEVÉE |
Létalité possible, accès possible |
MOYEN |
Moyens faiblement létaux |
FAIBLE |
S’il n’y a pas de plan suicidaire, il n’y a pas de dangerosité. Il faudra également tenir compte de l’élément de dangerosité lié à l’accumulation de facteurs de risque, notamment l’âge (> 75 ans).
Trois degrés d’urgence sont décrits selon l’ANAES dans la crise suicidaire :
URGENCE FAIBLE |
URGENCE MOYENNE |
URGENCE ELEVÉE |
Est dans une relation de confiance établie avec un praticien | Présente un équilibre émotionnel fragile | Décidée, dont le passage à l’acte est planifié et prévu pour les jours qui viennent ; |
Désire parler et est à la recherche de communication ; | Envisage le suicide et dont l’intention est claire ; | Coupée de ses émotions, rationalisant sa décision ou très émotive, agitée, troublée ; |
Cherche des solutions à ses problèmes ; | A envisagé un scénario suicidaire mais dont l’exécution est reportée ; | Complètement immobilisée par la dépression ou dans un état de grande agitation ; |
Pense au suicide mais n’a pas de scénario suicidaire précis ; | Ne voit de recours autre que le suicide pour cesser de souffrir ; | Dont la douleur et la souffrance sont omniprésentes ou complètement tues ; |
Pense encore à des moyens et à des stratégies pour faire face à la crise ; | A besoin d’aide et exprime directement ou indirectement son désarroi | Ayant un accès direct et immédiat à un moyen de se suicider ; |
N’est pas anormalement troublée mais psychologiquement souffrante. | Est isolée. | Ayant le sentiment d’avoir tout fait et tout essayé ; |
Est isolé |
Urgence faible
Écouter, rassurer, orienter, conseiller
Renforcer ou renouer les liens sociaux, et surveiller
Urgence moyenne
Écouter, rassurer, orienter
Mettre en relation avec des protecteurs sociaux et des réseaux d’écoute de proximité,
et/ou psychiatrique et ou psychologique, relais médecin traitant et familles
Surveiller
Urgence élevée avec danger immédiat
Hospitalisation si possible en expliquant toujours au patient en crise, l’intérêt de cette thérapeutique
Protection de soi
Assurer un suivi
Oter la souffrance vécue comme insoutenable
Si il y a un refus de l’hospitalisation, on aura recours à la loi Loi n° 90-527 du 27 juin 1990
Version consolidée au 15 juillet 2015
Ces directives concernent tous les personnels de soins ou des personnels en contact avec un patient en risque suicidaire élevé. Il faut rester à ses côtés, lui parler tout en l’écoutant, et prévenir les réseaux de soins d’urgence soi-même ou via un collègue.
NE PAS JOUER LES HÉROS.
La prise en charge du risque suicidaire est ardue. Notre rôle consiste à rester en éveil en amont, et à soutenir le patient dans sa détresse.
Les conduites à tenir doivent être connues surtout dans le cadre d’une urgence élevée, il nous faudra rester rassurant et déterminé.
Le suivi sera pérennisé par des équipes médicales-relais compétentes. Ces réseaux sont nécessaires et fondamentaux à connaître.
Il n’y a rien d’abominable ni de romantique dans un passage à l’acte, la vérité exprimée est celle d’une souffrance réelle vécue comme insoutenable. Nul ne peut prévoir le passage à l’acte, ni le praticien ni l’individu lui-même, il s’agit d’un acte impulsif que nous devons éviter.
Shakespeare, auteur d’Hamlet, traduit cet état d’âme dans l’acte 3 scene1 :
To be, or not to be? That is the question—
Whether it’s nobler in the mind to suffer
The slings and arrows of outrageous fortune,
Or to take arms against a sea of troubles,
And, by opposing, end them?
To die, to sleep—No more—
and by a sleep to say we end…
Ce héros tragique cherche à donner du sens à la vie dans un monde corrompu qu’est son royaume. Le spectre de la mort est omniprésent, tout au long de la pièce ce jeune prince schizophrène pour certains, mélancolique pour d’autres n’aura de cesse de s’interroger sur le sort que nous réserve le monde dans son entier.
Cette tragédie est célèbre de part le monde tant le sujet résonne en chacun de nous.
La vie est vécue parfois comme douloureuse, insurmontable mais comme le dit un proverbe yiddish « Ne succombez pas au désespoir, il ne tient jamais ses promesses ».
Image par Hasty Words de Pixabay