Au terme de près de deux ans de navette parlementaire, le 29 juin 2021, le Parlement a définitivement adopté le projet de loi de bioéthique. Ce projet de loi avait été initialement présenté en Conseil des ministres le 24 juillet 2019, porté alors par le gouvernement d’Édouard Philippe. Le gouvernement espère mettre en place les premiers parcours de PMA concernés par cette loi dès la fin de l’été 2021.
Le texte de cette nouvelle loi met à jour la législation sur la bioéthique, comme les gouvernements ont l’obligation de le faire au moins tous les sept ans. En 32 articles, il décline des mesures strictement médicales, allant de l’élargissement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation à la recherche sur l’embryon en passant par les tests génétiques…
Quelles sont les principales mesures qui ont suscité tant de débats dans le projet de loi de bioéthique et qui pourront concerner certains des lecteurs de la plateforme de téléconsultation Doctinet ?
Le projet de loi élargit l’accès à l’assistance médicale à la procréation (dite procréation médicalement assistée ou PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires (“PMA pour toutes”). Le remboursement par l’assurance maladie de la PMA est ouvert à ces femmes.
Jusqu’à présent, en France, la PMA était uniquement accessible aux couples hétérosexuels sur indication médicale.
Désormais, les enfants nés d’une PMA avec don de gamète pourront à leur majorité accéder à des données non identifiantes du donneur (âge, caractères physiques…) ou à l’identité du donneur. Tout donneur de gamètes devra obligatoirement accepter avant de procéder au don que son identité puisse un jour être révélée à l’enfant né de ce don, si ce dernier le souhaite. Concernant les personnes nées d’une PMA avant la promulgation de la loi, ces dernières pourront saisir la nouvelle Commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur pour qu’elle contacte leur donneur et l’interroge sur son souhait de communiquer ses informations personnelles.
Pour autant, le don lui-même restera anonyme : on ne pourra toujours pas choisir son donneur de même qu’un donneur ne pourra pas choisir à qui il donne ses gamètes.
Un nouveau mode de filiation est mis en place pour les enfants nés par PMA de couples de femmes. Les femmes concernées devront établir devant notaire une reconnaissance anticipée conjointe de l’enfant, avant sa naissance, comme peuvent le faire les couples hétérosexuels non mariés. La filiation sera établie à l’égard de la femme qui a accouché via sa désignation dans l’acte de naissance, tandis que celle qui n’a pas porté le bébé le sera par la reconnaissance conjointe.
En outre, les couples de femmes qui ont eu recours à une PMA à l’étranger avant la publication de la loi pourront pendant un délai de trois ans faire une reconnaissance conjointe pour établir la filiation.
Un amendement de la loi permet d’unifier la jurisprudence. Le code civil est complété pour préciser que la reconnaissance de la filiation à l’étranger est “appréciée au regard de la loi française”. Pour les enfants nés de GPA, la transcription d’un acte d’état civil étranger est ainsi limitée au seul parent biologique (le second parent dit “d’intention” devra passer par une procédure d’adoption).
Afin qu’ils puissent plus tard recourir personnellement à une PMA, l’autoconservation des gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) en dehors de tout motif médical, devient possible pour les femmes et pour les hommes. Jusqu’ici une femme ne pouvait avoir recours à la congélation de ses propres ovocytes, sauf nécessité médicale (cancer, endométriose etc.).
L’activité est en principe réservée aux établissements de santé publics et privés à but non lucratif. Les actes liés au recueil ou au prélèvement des gamètes seront remboursés par l’assurance-maladie mais pas le coût de la conservation. Pour éviter toute dérive ou pression sur les salariés, notamment les femmes, pour les conduire à différer un projet de maternité, les parlementaires ont posé l’interdiction pour les employeurs ou les autres personnes avec laquelle l’intéressé est dans une situation de dépendance économique de proposer la prise en charge des frais d’autoconservation de gamètes.
Enfin, le recueil du consentement du conjoint d’un donneur de gamètes est supprimé.
Les conditions d’âge requises pour bénéficier d’un prélèvement ou recueil de ses gamètes, en vue d’une assistance médicale à la procréation, sont fixées ainsi qu’il suit :
Ces dispositions sont applicables au prélèvement ou au recueil de gamètes ou de tissus germinaux effectué en application de l’article L. 2141-11, lorsque celui-ci est effectué en vue d’une assistance médicale à la procréation ultérieure.
Les conditions d’âge requises pour bénéficier de l’autoconservation de ses gamètes en vue de la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation sont fixées ainsi qu’il suit :
L’insémination artificielle, l’utilisation de gamètes ou de tissus germinaux recueillis, prélevés ou conservés à des fins d’assistance médicale à la procréation, ainsi que le transfert d’embryons, peuvent être réalisés :
En revanche, il n’y a aucune limite basse d’âge. Théoriquement, une femme en couple avec une femme ou une femme seule pourra demander une PMA dès 18 ans, même si, bien sûr, tout cela est soumis à une décision médicale collégiale.
La loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique et le décret n°2008-588 du 19 juin 2008 transposant au don de gamètes et à l’AMP la directive européenne du 31 mars 2004 donnent compétence à l’Agence de la biomédecine pour délivrer les autorisations d’importation et d’exportation de gamètes et tissus germinaux. L’autorisation ne peut être délivrée qu’à un établissement, un organisme ou un laboratoire titulaire d’une autorisation d’exercer les activités biologiques d’AMP.
C’est donc l’agende de biomédecine qui peut délivrer cette autorisation pour répondre :
Dans le but d’améliorer l’accès à la greffe, le don croisé d’organes prélevés sur personnes vivantes est facilité. Les possibilités de dons de moelle osseuse de la part d’un mineur ou d’un majeur protégé au profit de ses parents sont élargies.
Concernant le don du sang, un amendement du gouvernement réforme la méthode de sélection des donneurs pour éviter toute forme de discrimination liée aux orientations sexuelles de ces derniers. Un arrêté du ministre de la santé est prévu.
Des dispositions ont été introduites sur le don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche, à la suite du scandale du centre de l’Université Paris-Descartes.. Les établissements de santé, de formation ou de recherche devront à l’avenir être titulaires d’une autorisation ministérielle et s’engager à apporter respect et dignité aux corps qui leur sont confiés.
L’accès de la famille à des informations résultant d’un examen des caractéristiques génétiques d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté ou décédée est accru. Il s’agit de permettre aux proches de bénéficier de mesures de prévention ou de soins.
Le texte permet, de plus, au patient qui passe un test génétique d’être informé, avec son accord, de la découverte de caractéristiques génétiques sans relation avec l’indication initiale du test dès lors que ces informations lui permettent (ou à sa famille) de bénéficier de mesures de prévention ou de soins. Le libre recours aux tests génétiques d’ADN dits “récréatifs” reste interdit.
Les traitements de données issus de l’intelligence artificielle (IA), lorsqu’ils sont utilisés pour des actes de soins, sont encadrés. La personne doit être informée de l’utilisation d’un tel traitement algorithmique.
Les finalités de recours aux techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale sont précisées. L’emploi de l’imagerie cérébrale fonctionnelle dans le domaine de l’expertise judiciaire est interdit.
Un décret du ministère de la santé, pris après avis de la Haute autorité de santé, peut interdire les dispositifs de neuro-modulation (qui ont pour objet de modifier l’activité cérébrale) qui présenteraient un danger grave pour la santé humaine.
La recherche sur les embryons est davantage encadrée et certains interdits sont réaffirmés : création de chimères par adjonction de cellules animales dans un embryon humain, création d’embryon à des fins de recherche, clonage et réimplantation d’embryons destinés à être réimplantés.
Afin de faciliter les recherches, la procédure pour les demandes d’autorisation de recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires (cellules prélevées dans un embryon à son tout premier stade de développement et qui peuvent se transformer en tous types de cellules – peau, muscles, cœur…) est allégée. En outre, une durée limite de 14 jours est fixée pour la culture in vitro des embryons humains inclus dans un protocole de recherche (embryons surnuméraires provenant d’un couple n’ayant plus de projet parental et ayant consenti à les proposer à la recherche).
Interdites sauf dérogation jusqu’en 2013, les recherches sur l’embryon et les cellules souches issues d’un embryon humain sont aujourd’hui strictement encadrées. Le texte facilite les recherches sur les seules cellules souches embryonnaires.
Elles poursuivent l’amélioration de la qualité et de la sécurité des pratiques concernées par le champ bioéthique et optimisent l’organisation des soins.
L’information de la femme enceinte et éventuellement du couple, quand il est recouru à de nouvelles techniques de génétique pour explorer un risque avéré de pathologie fœtale, est renforcée. Le délai de réflexion d’une semaine en cas d’interruption médicale de grossesse (IMG) est supprimé. Le texte crée une nouvelle catégorie d’avortement, l’interruption volontaire partielle d’une grossesse multiple en cas de mise en péril de la santé de la femme, des embryons et des fœtus.
Lors du débat parlementaire, de nouvelles dispositions ont été votées pour améliorer la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital dits enfants intersexes. Les enfants et familles concernés seront orientés vers les quatre centres de référence des maladies rares du développement génital, notamment pour qu’ils puissent être informés et consentir ou non aux propositions de traitements médicaux. La question de l’état civil de ces enfants (inscription et rectification) a aussi été précisée.
Le projet de loi contient enfin plusieurs mesures sur la gouvernance bioéthique. Il élargit le périmètre du Comité consultatif national d’éthique aux questions soulevées par les progrès scientifiques dans d’autres domaines que ceux de la biologie, de la médecine et de la santé (par exemple développement de l’IA, environnement). Le CCNE animera tous les ans des débats publics sur des problèmes éthiques. Les missions et la gouvernance de l’Agence de la biomédecine sont simplifiées.
Comme dans les précédentes lois de bioéthique, la clause de réexamen périodique de la loi dans un délai de sept ans est renouvelée.
L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, la possibilité pour toutes les femmes d’avoir recours à une congélation de leurs ovocytes, ainsi que la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes font craindre aux centres de PMA une forte augmentation de la demande de sperme, une forte augmentation de l’activité médicale et du besoin en moyens techniques, et en face de cela, une pénurie de dons de gamètes.
Une forte affluence vers les centres de PMA en général et vers les CECOS (Centres d’Étude et de Conservation des Oeufs et du Sperme humains) en particulier augmentera les délais d’attente qui peuvent frôler par endroits en temps normal les six mois. Cet accroissement d’activité nécessitera forcément des moyens financiers, techniques et humains supplémentaires si l’on veut qu’à cette nouvelle loi bioéthique s’associent des temps d’attente raisonnables et une qualité de soins digne d’un état qui respecte ses citoyens.
Image par Elena Έλενα Kontogianni Κοντογιάννη de Pixabay
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