Bien que cela soit aujourd’hui un sujet « à la mode » hautement médiatisé, ce syndrome pourtant très ancien, n’a toujours pas obtenu sa véritable reconnaissance au sein des pathologies mentales.
Preuve en est son absence d’inclusion dans le nouveau manuel diagnostic anglo-saxon des affections mentales, le DSM 5e version, et semble-t-il dans la future version internationale équivalente, la CIM 11.
On retrouve en effet, essentiellement dans la littérature, des descriptions de ce syndrome chez des écrivains, des instituteurs « morts à la tâche ». Le terme « burn-out » se retrouve d’ailleurs semble-t-il pour la première fois chez Shakespeare en 1599, désignant un excès de travail entraînant une mort précoce.
La genèse de ce concept est classiquement attribuée à Harold B. Bradley qui décrivit dès 1969, un état de stress particulier lié au travail.
Mais c’est un psychanalyste Américain, Herbert J. Freundenberger qui, décrivant en 1974 la démotivation psychique et physique d’employés surinvestis dans un centre d’aide à la désintoxication, crée les premières conceptualisations théoriques de ce syndrome.
De ces travaux initiaux et précurseurs, un groupe de chercheurs de l’université de Berkeley, sous l’impulsion de Christina Maslach et d’Ayala Pines, a véritablement popularisé ce concept, aujourd’hui sous-tendu par une littérature publiée riche et transculturelle puisqu’on retrouve au Japon le concept de « Karoshi » (mort par surcharge de travail).
Le premier problème commence par l’absence de définition consensuelle.
« Burn-out », signifiant littéralement « carbonisé, cramé » en anglais, se retrouve sous de multiples définitions dans la communauté scientifique, selon qu’on restreint la définition à certains groupes de travailleurs (en particulier les professions soignantes ou aidantes), ou qu’on définit le « burn-out » comme un état statique ou au contraire dynamique, évolutif dans le temps.
Pour simplifier et clarifier notre propos (même si d’autres modèles conceptuels existent), nous adopterons une définition synthétique, que nous détaillerons par la suite et qui correspond au modèle de C. Maslach :
Le burn-out est une réponse au stress émotionnel chronique comprenant une triple dimension constante :
Ce modèle tridimensionnel dynamique comporte un séquençage particulier dans lequel l’épuisement émotionnel constitue la première étape suivie par l’apparition d’un sentiment de dépersonnalisation, détériorant l’accomplissement personnel et professionnel.
Il est important de noter, pour valider ce syndrome, que si la dimension professionnelle est nécessaire, elle n’est pas pour autant suffisante pour parler de syndrome « burn-out ».
En effet, l’impact négatif et pénalisant touche la personne dans son entier, ainsi que les relations interpersonnelles au sens large.
Parmi les symptômes d’alerte de la phase initiale, on peut retrouver diversement associés des éléments de consommation énergétique excessive comprenant :
Il correspond au stress, à l’absence d’énergie, la fatigue, mais aussi à l’irritabilité et l’impulsivité, avec un possible retentissement somatique contre lequel le sujet développe diverses stratégies d’évitement telles que le désinvestissement, l’hyperactivité, le repli, la rigidification secondaire…
On retrouve :
La démobilisation comprenant une diminution de l’efficacité cognitive (troubles de la concentration, de la mémoire, erreurs dans des tâches complexes, indécision, doutes exagérés…), la démotivation (perte de capacité d’initiative, perte de productivité, grève du zèle), la perte de créativité (réduction de la flexibilité mentale), le manichéisme.
On retrouve :
La réduction des engagements envers les clients, les patients, les usagers mais aussi de la famille. Une certaine froideur affective, une perte d’empathie, une superficialité de la vie émotionnelle, une certaine indifférence, une perte des hobbies, un ennui, une projection cynique et parfois violente sur autrui…
Cette liste de symptômes est loin d’être exhaustive.
Les professionnels de la santé peuvent s’appuyer sur une échelle classiquement utilisée comme un outil de mesure : La Maslach Burnout Inventory (MBI).
D’autres échelles, peut-être moins restrictives, ont été par ailleurs développées, notamment la « Burnout Measure » qui explore à travers 21 questions trois dimensions : l’épuisement physique (fatigue, troubles du sommeil…), l’épuisement émotionnel (sentiment d’être déprimé, piégé…) et l’épuisement mental (désespoir, sentiment d’inutilité, amertume…).
Jamais | Quelques fois par an | Une fois par mois | Quelques fois par mois | Une fois par semaine | Quelques fois par semaine | Chaque jour | |
1-Je me sens émotionnellement vidé(e) par mon travail
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2-Je me sens à bout à la fin de ma journée de travail
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3-Je me sens fatigué(e) lorsque je me lève le matin et que j’ai à affronter une autre journée de travail
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4-Je peux comprendre facilement ce que mes patients/clients/élèves ressentent
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5-Je sens que je m’occupe de certains patients/clients/élèves de façon impersonnelle comme s’ils étaient des objets
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6-Travailler avec des gens tout au long de la journée me demande beaucoup d’effort
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7-Je m’occupe très efficacement des problèmes de mes patients/clients/élèves
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8-Je sens que je craque à cause de mon travail
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9-J’ai l’impression, à travers mon travail, d’avoir une influence positive sur les gens
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10-Je suis devenu(e) plus insensible aux gens depuis que j’ai ce travail
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11-Je crains que ce travail ne m’endurcisse émotionnellement
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12-Je me sens plein(e) d’énergie
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13-Je me sens frustré(e) par mon travail
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14-Je sens que je travaille « trop dur » dans mon travail
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15-Je ne me soucie pas vraiment de ce qui arrive à certains de mes patients/clients/élèves
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16-Travailler en contact direct avec les gens me stresse trop
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17-J’arrive facilement à créer une atmosphère détendue avec mes patients/clients/élèves
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18-Je me sens ragaillardi(e) lorsque dans mon travail j’ai été proche de mes patients/clients/élèves
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19-J’ai accompli beaucoup de choses qui en valent la peine dans ce travail
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20-Je me sens au bout du rouleau
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21-Dans mon travail, je traite les problèmes émotionnels très calmement
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22-J’ai l’impression que mes patients/clients/élèves me rendent responsable de certains de leurs problèmes
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Total épuisement professionnel | |||||||
Total dépersonnalisation | |||||||
Total accomplissement personnel | |||||||
RESULTATS:
Le MBI explore trois versants: l’épuisement, la dépersonnalisation, l’accomplissement personnel Epuisement professionnel : questions 1, 2, 3, 6, 8, 13, 14, 16, 20 -total inférieur à 17: burn out bas -total compris entre 18 et 29: burn out modéré -total supérieur à 30: burn out élevé Dépersonnalisation : questions 5, 10, 11, 15, 22 Accomplissement personnel : questions 4, 7, 9, 12, 17, 18, 19, 21 Un score élevé aux deux premières échelles et un score faible à la dernière signe un épuisement professionnel |
De par les variabilités de définition ainsi que la multitude des échelles de mesure différentes, et souvent la variabilité subjective des réponses aux questionnaires, l’épidémiologie de ce syndrome est également très variable. La prévalence de ce syndrome évolue entre 5 et 20 % dans les populations actives professionnellement.
Le concept du burn-out se définit dans un contexte spécifiquement lié à l’activité professionnelle.
La contrainte de travail la plus fréquemment associée à l’épuisement professionnel est l’importance de la charge de travail, d’autant plus importante s’il existe une pression temporelle.
Sont également reconnus comme des facteurs de risque :
En plus de ces contraintes liées à l’environnement de travail, les chercheurs sur le burn-out soulignent l’importance de certaines caractéristiques liées à la nature de l’activité professionnelle elle-même, comme par exemple des activités à forte charge émotionnelle (activités aidantes et soignantes en particulier).
Enfin, devant les évolutions sociétales et professionnelles dans lesquelles la mobilité et la flexibilité professionnelles sont actuellement favorisées, il sera intéressant d’évaluer l’impact du désinvestissement inhérent à ces modes de travail, les employés ne se sentant plus autant « indispensables » à l’entreprise mais se percevant comme des éléments interchangeables et autres variables d’ajustement socio-économique.
S’il existe des contraintes contextuelles professionnelles favorisant la survenue d’un burn-out, certaines particularités individuelles représentant des « déterminants individuels » sont également à décrire.
En particulier, même si historiquement les femmes ont été le plus souvent présentées comme les plus à risque de burn-out, aujourd’hui les études plus récentes sont plus contradictoires et loin d’être affirmatives sur ce point.
De même, l’âge de survenue, mais également le type de personnalité prémorbide, fait encore aujourd’hui débat, au vue de certaines études contradictoires.
Il semblerait par contre que l’existence d’antécédents familiaux et/ou personnels d’état dépressif majeur, serait prédictive d’épuisement professionnel.
Bien avant la popularisation du terme burn-out, les auteurs francophones parlaient de « Dépression d’épuisement », signalant la très grande proximité entre ces deux entités morbides, même si aujourd’hui la plupart des auteurs les séparent. En effet, l’absence d’affects dépressifs se retrouve avec une proportion non négligeable chez les patients présentant un authentique burn-out (20 %).
D’ailleurs, la coexistence de ces deux affections est une donnée majeure à évaluer lors de la prise en charge thérapeutique.
Les troubles addictifs sont également classiquement rencontrés en association avec le burn-out, notamment l’alcoolisme.
Enfin il est actuellement établi que l’épuisement professionnel s’accompagne d’altérations du système cardio-vasculaire, musculo-squelettique (en particulier rachidien), mais également une baisse de l’immunité, des diabètes de type 2.