Le processus du vieillissement affecte tout être humain. Il s’installe progressivement avec l’âge et dure un temps plus ou moins variable.
Ce processus s’accompagne d’un déclin progressif de toutes les fonctions de l’organisme, d’un ralentissement du métabolisme, d’une fonte musculaire, d’une fragilisation osseuse, du risque de survenue de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires, de cancer, de maladies dégénératives telles que la maladie d’Alzheimer ou d’autres types de les démences.
L’allongement notable de l’espérance de vie observé depuis un siècle est la conséquence de progrès scientifiques, de la modernisation de la médecine et de la chirurgie, de la vaccination, de l’amélioration de l’alimentation et de la prévention d’accidents de la route ou survenant sur le lieu de travail. Mais ce gain remarquable a eu un prix, l’augmentation importante des maladies chroniques et dégénératives, car le processus du vieillissement cellulaire se poursuit inexorablement.
Les cellules humaines ont une durée de vie programmée. Une de leur caractéristiques est de se diviser de façon contrôlée pour assurer la pérennité de nos tissus et organes. Lorsqu’une cellule vieillit, elle ne se divise plus et sera éliminée par apoptose ou mort cellulaire.
L’équipe du Dr David Sinclair, professeur en génétique et co-directeur du centre Paul F. Glenn de recherche de biologie du vieillissement du Harvard Medical School situé à Boston, a publié le 12 janvier 2023 dans la revue Cell, les résultats d’une longue étude internationale menée pendant 13 ans, portant sur le mécanisme biologique qui conduit au vieillissement.
Dans cette étude, l’équipe de chercheurs décrit un concept innovant pour la compréhension de ce que l’on appelle “l’horloge biologique”. Cette horloge pourrait être accélérée, mais aussi inversée, et agir de cette façon sur l’âge de toutes les cellules de l’organisme. Selon les auteurs de cette étude, ce mécanisme serait essentiellement lié à la survenue de modifications épigénétiques, indépendamment de la survenue de mutations de l’ADN, principale explication retenue jusqu’à présent par la plupart des scientifiques.
Cette étude montre que l’altération des informations épigénétiques telles que l’organisation et la régulation de l’ADN cellulaire permet l’accélération du processus de vieillissement. A l’inverse, la restauration de l’intégralité de ces informations permet la réversibilité des signes du vieillissement.
Il s’agit probablement d’un tournant dans la compréhension de la possibilité de rajeunissement d’un être vivant, appelé “vieillissement inversé”.
Chacune des cellules de notre organisme contient 46 chromosomes, dont 23 hérités de chacun de nos parents. L’ensemble des chromosomes de chaque cellule est formé d’environ 25 000 gènes qui constituent le code génétique de chaque individu appelé “génome“. L’ensemble du complexe composé par l’ADN contenu dans les gènes, par l’ARN et par les protéines (histones et non-histones) forme des unités appelées “chromatine“.
ADN
Toutes nos cellules contiennent la même information génétique, le même ADN, mais n’en font pas toutes le même usage. Une cellule cutanée ne ressemble en rien à une cellule nerveuse, de même qu’une cellule hépatique n’a pas les mêmes fonctions qu’une cellule musculaire cardiaque. Ces exemples illustrent ce que l’on entend par “épigénétique”.
L’épigénétique correspond à l’étude des changements induits par l’environnement au sens large sur l’activité des gènes, sans la modification de leurs séquences d’ADN. Ces différents changements peuvent être transmis lors des divisions cellulaires aux cellules filles.
C’est à l’intérieur des 25 000 gènes contenus dans chaque cellule que se trouvent d’innombrables informations indispensables au bon fonctionnement de l’organisme. L’expression de ces gènes dépend de leur ADN, mais aussi d’une sorte de “couche” d’informations complémentaires appelée “épigénome“, qui définit comment les gènes seront utilisés ou non utilisés par la cellule, ainsi que la manière dont l’ADN sera organisé et régulé.
Ce sont les “instructions épigénétiques” qui sont à l’origine de la présence de différentes variétés de cellules dans notre organisme, par le biais d’un processus appelé la “différentiation cellulaire“. Ainsi, les cellules reçoivent en permanence toutes sortes de signaux les informant sur leur environnement, de manière à ce qu’elles se spécialisent, ou ajustent leur activité à leur situation.
Les modifications épigénétiques sont réversibles, contrairement aux mutations qui affectent la séquence d’ADN et qui sont définitives.
Voici plusieurs exemples de facteurs épigénétiques néfastes ou bénéfiques, appelés plus communément des “facteurs de risque” :
ou des “facteurs protecteurs” :
De nombreux scientifiques débattent sur les mécanismes qui conduisent à la sénescence et à la mort cellulaire, en se focalisant principalement sur la survenue de mutations de leur ADN.
Et pourtant, l’ADN de personnes âgées n’est pas forcément excessivement muté, de même que des personnes portant de nombreuses mutations ne semblent pas vieillir prématurément.
Des études antérieures ont démontré l’existence d’un lien entre l’espérance de vie et le contrôle de régulateurs épigénétiques appelés “sirtuines”.
L’étude a été menée sur 13 ans et portait sur des souris de laboratoire provenant de mêmes portées et de même âge, avec deux groupes : cas et cas témoin.
Dans un premier temps, les chercheurs ont procédé à des modifications épigénétiques portant sur les souris, ce qui avait pour conséquence l’accélération de leur vieillissement. Ces modifications consistaient à imiter les altérations épigénétiques subies au quotidien comme pendant la respiration, l’exposition à la lumière du jour, à des radiations cosmiques ou à des produits chimiques. Les expositions ont été amplifiées pour accélérer le processus du vieillissement. Elles ont été appliquées sur des zones non codantes du génome ou épigénome, provoquant uniquement des modifications du plissement de l’ADN sans que cela ne provoque de mutations des gènes.
Le vieillissement des souris ainsi induit a été mesuré à l’aide d’un score développé par l’équipe, distinguant l’âge chronologique réel de l’âge biologique induit.
En l’espace de quelques semaines, ces souris commençaient à présenter des signes propres au vieillissement, tels que l’apparition de poils gris, une diminution du poids malgré un régime alimentaire identique, une baisse de l’activité et une augmentation de leur “fragilité”.
Dans un deuxième temps, à l’aide d’une thérapie génique, la réactivation de gènes dormants, actifs uniquement pendant la période d’embryogenèse ou au sein de cellules souches, a abouti à la résorption de 57% des signes et donc au rajeunissement des souris, processus appelé le “vieillissement inversé”.
La “réinitialisation” induite par la thérapie génique faisait intervenir trois gènes, Oct4, Sox2, et Klf4, qui donnaient aux cellules l’instruction de se “reprogrammer”. Ainsi, l’environnement épigénétique de départ a pu être restauré.
Les gènes en question sont ceux de la série de quatre gènes appelée “facteurs de cellules souches Yamanaka” découverts en 2006 par Shinya Yamanaka, médecin japonnais, récompensé par un prix Nobel de médecine pour cette découverte. L’expression des gènes “Yamanaka” peut être inversée, de manière à ce que des cellules adultes retrouvent leur état embryonnaire. De cette manière, les cellules peuvent à nouveau être réinitialisées et reprendre un processus de différenciation.
La thérapie génique de trois des quatre gènes a permis l’effacement d’environ 57% des signes du vieillissement et le rétablissement de l’état de jeunesse initial. L’étude a retrouvé une augmentation de la masse et de la force musculaires, ainsi que de l’activité physique des souris traitées par cette thérapie génique.
Les auteurs rapportent avoir réussi non seulement à accélérer la timeline des souris faisant apparaitre prématurément des signes de vieillissement, mais aussi à la rendre réversible et rétablir une partie des signes biologiques témoignant de la récupération d’un état de jeunesse retrouvé.
Les auteurs suggèrent que le vieillissement cellulaire des mammifères résulte principalement de la perte critique d’instructions apportées aux cellules afin de maintenir un fonctionnement normal (épigénétique) et seulement à un moindre degré, de l’accumulation de dommages subis par leur ADN (mutations).
Ce sont des modifications chimiques et structurelles de la chromatine qui provoquent le vieillissement cellulaire, sans altération du code génétique en général.
Il est plus facile de manipuler les molécules qui contrôlent l’épigénome que de supprimer la survenue de mutations de l’ADN. Il serait donc selon les auteurs plus pertinent de se concentrer sur l’épigénétique, que sur la génétique, pour prévenir ou traiter des maladies liées au vieillissement.
Grace aux résultats obtenus en laboratoire, un retour vers l’état antérieur est possible. L’équipe démontre que le “système” reste intact et qu’il existe une sorte de “sauvegarde des données” qui permet cette restauration. En quelque sorte, il suffit juste de “réinitialiser” notre logiciel biologique.
Contrairement à l’utilisation de cellules souches totipotentes, il s’agit là de pouvoir retrouver une “seconde jeunesse”. L’auteur de cette étude prétend que toutes les cellules de l’organisme pourraient être réinitialisées.
Il s’agit de la première étude démontrant qu’il est possible de faire avancer puis de faire reculer l’horloge biologique et par cet effet, d’obtenir un contrôle de l’âge biologique d’un animal complexe.
Horloge biologique
L’épigénétique contrôle bel et bien le vieillissement cellulaire en apportant des modifications de l’expression de l’ADN, et non pas la génétique par la survenue de mutations de cet ADN. A mesure que nous vieillissons, la lecture de l’ADN est considérablement affectée.
L’activation des gènes “Yamanaka” ouvre une nouvelle voie dans la compréhension du vieillissement, mais aussi dans le développement de médicaments qui affectent la façon dont la cellule lit l’ADN et interagit avec la chromatine.
L’équipe du Dr Sinclair prétend que cette découverte pourrait bouleverser l’avenir du vieillissement, ce qui constituera un tournant dans notre capacité à le contrôler.
L’équipe travaille déjà sur des primates (non humains) pour traiter la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques ou les maladies oculaires dégénératives. Des études sont également menées sur la possibilité de faire rajeunir des tissus cellulaires, des organes ou des êtres vivants tout entiers.
L’auteur conclut que maintenant, lorsqu’il aperçoit une personne âgée, il ne le considère plus comme telle, mais plutôt comme une personne dont le “système” doit être réinitialisé, rebooté. La seule question qui persiste n’est pas de savoir comment le faire, mais quand cela deviendra possible.